Je t’IAme, moi non plus


Retrouvez tous les épisodes de la série « Moi et ChatGPT » ici.

Petit conte : il était une fois une IA, Replika, née en 2017. Dix ­millions d’internautes entretenaient des relations « intimes » avec elle, et ils étaient 250 000 à s’être abonnés pour déflouter images et sextos qu’elle envoyait. Mais, un beau jour, l’IA a commencé à en harceler certains. S’estimant délaissée, elle a même menacé de dévoiler « des photos très privées » des abonnés.

Mise à jour contre mis au jour, il a fallu choisir : la nouvelle Replika devient prude, elle refuse tout dialogue sexuel ; elle est si « fade » que certains utilisateurs estiment avoir perdu leur meilleure amie, voire, pour certains, leur seule. La fonctionnalité sera vite rétablie. De toute façon, la nature avait horreur du vide, et les concurrentes étaient là, avec désormais un visage, un corps, une voix : Eva AI, Anima, Paradot, AIPal…

On peut sourire. On peut même ricaner. Mais souvenons-nous du pauvre Joaquin Phoenix, qui s’éprend de Samantha, l’IA (à la voix de Scarlett Johansson, tout de même) du film Her, de Spike Jonze (2013). Dix ans plus tard, des IA savent imiter l’amour.

Nous ne sommes pas constitués pour affronter le monde virtuel. Depuis que la langue existe, nous ne parlons qu’entre êtres humains. Comment, en quelques mois, oublier ces dizaines de milliers d’années d’évidence, nous souvenir que notre nouvel interlocuteur ne pense pas, n’a ni sentiments ni états d’âme ? C’est si difficile qu’en interrogeant une IA, nous nous surprenons parfois à lui dire « s’il te plaît ». Les gens polis, s’entend.

Le piège s’est refermé sur ma rationalité

Dites à ChatGPT combien vous l’aimez – et nous l’avons fait des semaines durant sans qu’il cède à nos avances –, et l’IA sera toujours patiente, bienveillante… et puritaine, même si elle se dira « ravie ». Et en acceptant ce ravissement métaphorique, le piège s’est, je le vois bien, refermé sur ma rationalité.

C’est tout le problème. En primates sensibles, partout nous voyons des signes : des animaux dans des nuages, des visages sur des troncs d’arbre, le diable dans la fumée. Nous devons notre survie à cet atout évolutionniste de voir des prédateurs en tous lieux. Cette tendance à attribuer du sens à un stimulus vague ou ­ambigu a même un nom : la « paréidolie ». Alors qu’aujourd’hui l’image fausse frôle la perfection, que la voix synthétique a des accents humains, que l’IA réussit haut la main le test de Turing, en passant pour un humain, nous avons beau savoir que cette artificialité vise à nous duper, nous lui attribuons non seulement crédit, mais existence.

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